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Sujet: Contes de Jacques Prévert Mar 17 Mai - 13:30
L'autruche
Lorsque le Petit Poucet abandonné dans la forêt sema des cailloux pour retrouver son chemin, il ne se doutait pas qu'une autruche le suivait et dévorait les cailloux un à un. C'est la vraie histoire celle-là, c'est comme ça que c'est arrivé... Le fils Poucet se retourne : plus de cailloux ! Il est définitivement perdu, plus de cailloux, plus de maison ; plus de maison, plus de papa-maman. "C'est désolant", se dit-il entre ses dents. Soudain il entend rire et puis le bruit des cloches et le bruit d'un torrent, des trompettes, un véritable orchestre, un orage de bruits, une musique brutale, étrange mais pas du tout désagréable et tout à fait nouvelle pour lui. Il passe alors la tête à travers le feuillage et voit l'autruche qui danse, qui le regarde, s'arrête de danser et lui dit : L'autruche : "C'est moi qui fait ce bruit, je suis heureuse, j'ai un estomac magnifique, je peux manger n'importe quoi. "Ce matin, j'ai mangé deux cloches avec leur battant, j'ai mangé deux trompettes, trois douzaines de coquetiers, j'ai mangé une salade avec son saladier, et les cailloux blancs que tu semais, eux aussi, je les ai mangés. Monte sur mon dos, je vais très vite, nous allons voyager ensemble." "Mais, dit le fils Poucet, mon père et ma mère je ne les verrai plus ?" L'autruche : "S'ils t'ont abandonné, c'est qu'ils n'ont pas envie de te revoir de sitôt." Le Petit Poucet : "Il y a sûrement du vrai dans ce que vous dites, madame l'Autruche." L'autruche : "Ne m'appelle pas madame, ça me fait mal aux ailes, appelle-moi Autruche tout court." Le Petit Poucet : "Oui, Autruche, mais tout de même, ma mère, n'est-ce pas !" L'autruche (en colère) : "N'est-ce pas quoi ? Tu m'agaces à la fin et puis, veux-tu que je te dise, je n'aime pas beaucoup ta mère, à cause de cette manie qu'elle a de mettre toujours des plumes d'autruche sur son chapeau..." Le fils Poucet : "Le fait est que ça coûte cher... mais elle fait toujours des dépenses pour éblouir les voisins." L'autruche : "Au lieu d'éblouir les voisins, elle aurait mieux fait de s'occuper de toi, elle te giflait quelquefois." Le fils Poucet : "Mon père aussi me battait" L'autruche : "Ah, monsieur Poucet te battait, c'est inadmissible. Les enfants ne battent pas leurs parents, pourquoi les parents battraient-ils leurs enfants ? D'ailleurs monsieur Poucet n'est pas très malin non plus, la première fois qu'il a vu un oeuf d'autruche, sais-tu ce qu'il a dit ?" Le fils Poucet : "Non" L'autruche : "Eh bien, il a dit "ça ferait une belle omelette !" Le fils Poucet (rêveur) : "Je me souviens, la première fois qu'il a vu la mer, il a réfléchi quelques secondes et puis il a dit : "Quelle grande cuvette, dommage qu'il n'y ait pas de ponts." "Tout le monde a ri mais moi j'avais envie de pleurer, alors ma mère m'a tiré les oreilles et m'a dit : "Tu ne peux pas rire comme les autres quand ton père plaisante !" Ce n'est pas ma faute, mais je n'aime pas les plaisanteries des grandes personnes..." L'autruche : "... Moi non plus, grimpe sur mon dos, tu ne verras plus tes parents, mais tu verras du pays." "ça va", dit le petit Poucet et il grimpe. Au grand triple galop l'oiseau et l'enfant démarrent et c'est un très gros nuage de poussière. Sur le pas de leur porte, les paysans hochent la tête et disent : "Encore une de ces sales automobiles !" Mais les paysannes entendent l'autruche qui carillonne en galopant : "Vous entendez les cloches, disent-elles en se signant, c'est une église qui se sauve, le diable sûrement court après." Et tous de se barricader jusqu'au lendemain matin, mais le lendemain l'autruche et l'enfant sont loin.
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Gigi
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Sujet: Re: Contes de Jacques Prévert Mar 17 Mai - 13:38
Jeune lion en cage
Captif, un jeune lion grandissait, et plus il grandissait plus les barreaux de sa cage grossissaient, du moins c'est le jeune lion qui le croyait... en réalité, on le changeait de cage pendant son sommeil. Quelquefois, des hommes venaient et lui jetaient de la poussière dans les yeux, d'autres lui donnaient des coups de canne sur la tête et il pensait : "Ils sont méchants et bêtes mais ils pourraient l'être davantage, ils ont tué mon père, ils ont tué ma mère, ils ont tué mes frères, un jour sûrement ils me tueront qu'est-ce qu'ils attendent ?" Et il attendait aussi.
Et il ne se passait rien.
Un beau jour: du nouveau... Les garçons de la ménagerie placent des bancs devant la cage, des visiteurs entrent et s'installent.
Curieux, le lion les regarde...
Les visiteurs sont assis... ils semblent attendre quelque chose... un contrôleur vient voir s'ils ont bien pris leurs tickets il y a une dispute, un petit monsieur s'est placé au premier rang... il n'a pas de ticket... alors le contrôleur le jette dehors à coups de pied dans le ventre, tous les autres applaudissent.
Le lion trouve que c est très amusant et croit que les hommes sont devenus plus gentils et qu'ils viennent simplement voir comme ça en passant:
"Ça fait bien dix minutes qu'ils sont là, pense-t-il, et personne ne m'a fait de mal, C'est exceptionnel, ils me rendent visite en toute simplicité je voudrais bien faire quelque chose pour eux ... "
Mais la porte de la cage s'ouvre brusquement et un homme apparat en hurlant:
"Allez, Sultan, saute, Sultan !" et le lion est pris d'une légitime inquiétude car il n’a encore jamais vu de dompteur.
Le dompteur a une chaise dans la main, il tape avec la chaise contre les barreaux de la cage, sur la tête du lion, un peu partout, un pied de la chaise casse, l'homme jette la chaise et, sortant de sa poche un gros revolver, il se met à tirer en l'air.
"Quoi? dit le lion, qu’ est-ce que c’est que ça? Pour une fois que je reçois du monde, voilà un fou, un énergumène qui entre ici sans frapper, qui brise les meubles et qui tire sur mes invités ce n’est pas comme il faut", et sautant sur le dompteur il entreprend de le dévorer plutôt par désir de faire un peu d'ordre que par pure gourmandise...
Quelques-uns des spectateurs s'évanouissent, la plupart se sauvent, le reste se précipite vers la cage et tire le dompteur par les pieds on ne sait pas trop pourquoi, mais l'affolement c'est l'affolement n'est-ce pas ?
Le lion n'y comprend rien, ses invités le frappent à coup de parapluie, c’est un horrible vacarme.
Seul un Anglais reste assis dans son coin et répète: "Je l'avais prévu, ça devait arriver, il y a dix ans que je l'avais prédit ... "
Alors tous les autres se retournent contre lui et crient:
"Qu'est-ce que vous dites ?... C'est de votre faute tout ce qui arrive, sale étranger, est-ce que vous avez seulement payé votre place ?".
Etc., etc.
Et voilà l'Anglais qui reçoit lui aussi des coups de parapluie...
"Mauvaise journée pour lui aussi !" pense le lion.
Gigi
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Sujet: Re: Contes de Jacques Prévert Mar 17 Mai - 13:38
Autres contes de Jacques Prévert
Cheval dans une île L'éléphant de mer L'opéra des girafes Le dromadaire mécontent Les premiers ânes Scène de la vie des antilopes
Jacques Prévert est un poète et scénariste français, né le 4 février 1900 à Neuilly-sur-Seine, et mort le 11 avril 1977 à Omonville-la-Petite
Date d'inscription : 12/02/2016 Age : 71 Localisation : France
Sujet: Re: Contes de Jacques Prévert Mer 18 Mai - 8:42
Dernière édition par Gigi le Mer 18 Mai - 9:06, édité 1 fois
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Date d'inscription : 11/02/2016 Age : 71 Localisation : France
Sujet: Re: Contes de Jacques Prévert Mer 18 Mai - 13:08
"Le travail du poète est comparable à celui du peintre. Ce poème est une métaphore du métier de l’artiste.
Il faut peut-être s’inspirer de la nature, mais ne pas la reproduire stupidement : au contraire, il faut essayer d’exprimer ses sensations propres, ses émotions (peinture, musique, poésie, littérature…) Il faut être patient et savoir attendre l’inspiration. Comme un oiseau, elle ne se maîtrise pas, elle est incertaine. On ne devient pas un génie du jour au lendemain. Il ne faut pas être logique et rester enfermé dans le monde concret. Les schémas, les choses classiques, les écoles de pensée sont des cages, des prisons qui tuent l’inspiration, qui emprisonnent l’esprit , qui empêche l’expression libre. Ces guides sont utiles au début (apprendre la technique avant de peindre, faire du solfège ou des gammes avant de composer). Mais, comme les barreaux du poème, il faut ensuite savoir les effacer, les oublier pour exprimer sa personnalité. C’est avec le temps, la patience, que l’on finit par être reconnu, si l’on a du talent. L’art ne se pratique pas dans la violence (« tout doucement »). Il ne peut et ne doit pas être imposé aux autres. Chacun est libre de l’apprécier ou non, et l’oiseau du tableau ne se met pas toujours à chanter… (« les goûts et les couleurs… »). L’artiste doit donc rester modeste et se contenter du « coin du tableau » pour signer . Son œuvre, si elle est bonne, suffit. Elle est sans doute plus intéressante que lui, sa personnalité, sa vie, et il doit apprendre à s’effacer devant elle.
Ce poème nous transporte dans un monde proche du rêve surréaliste. Le travail de l’artiste, qu’il soit poète, musicien, peintre, est de créer des associations inattendues et surprenantes. Ce qui met son rêve à la portée de tous, c’est sa façon de coller à la nature, de rester simple, de ne pas s’enfermer dans les conventions et les écoles. L’oiseau, pour Jacques PREVERT, est encore une fois ici le symbole de la liberté et de l’indépendance d’esprit qui seules permettent d’être vraiment original et talentueux". Moins
Ninette
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Sujet: Re: Contes de Jacques Prévert Dim 22 Mai - 12:18